CHAUFFARD Félix

CHAUFFARD Félix

¤ 2 août 1876 à Arnay-le-Duc
† 23 décembre 1914 à la caserne Béchaud, Belfort (territoire)
Caporal – 57e régiment d’infanterie territoriale – 38 ans
Suicide par pendaison

Signature de Félix Chauffard sur son acte de mariage.
“Des pensées de folie envahirent mon cerveau, avant de me tuer je voulais revenir à l’abri du capitaine et l’embrocher comme une bête malfaisante.”
Louis Barthas

Acte de naissance

N°79

Acte de naissance
de
Chauffard
Félix
(légitime)

du 3 août 1876

L’an mil-huit-cent-soixante-seize le trois août à neuf heures du matin, Pardevant nous Jean Baptiste Michéa premier Adjoint remplissant les fonctions de Maire de la ville d’Arnay-le-Duc, chef-lieu de canton, arrondissement de Beaune département de la Côte-d’Or, par suite de la démission du titulaire, a comparu le sieur Chauffard, Jean-Pierre, âgé de trente trois ans ouvrier en limes domicilié à Arnay-le-Duc, faubourg Voyen, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né hier à dix heures du soir, en son domicile, de son mariage contracté à Arnay-le-Duc le vingt janvier mil-huit-cent-soixante-huit avec Michot, Marie, âgée de trente un ans sans profession domiciliée avec lui & auquel enfant il a déclaré donner le prénom de Félix. Lesdites présentation & déclaration faites en présence des sieurs Lucotte, Jean Baptiste, âgé de trente sept ans, ouvrier en limes & Gevrey, Jean, âgé de trente un ans, aussi ouvrier en limes, tous deux domiciliés à Arnay-le-Duc & ont le père de l’enfant et les deux témoins signé avec nous le présent acte de naissance après que lecture leur en a été faite.
[Signatures] Chauffard / Gevrey / Lucotte / Michéa
[Mention marginale] Par acte inscrit à la mairie de Beaune le trente-un août mil neuf cent un, Chauffard Félix, dont la naissance est constatée dans l’acte ci-contre, a contracté mariage avec Marie Loiseau. Dont mention faite par nous, greffier du tribunal, le 17 septembre. [Signature] Gremeau

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Fiche matricule

Décédé

Nom : Chauffard
Prénoms : Félix
Surnoms : _
Numéro matricule du recrutement : 1146
Classe de mobilisation : 1896


État civil :

Né le 2 août 1876, à Arnay-le-Duc, canton du dit, département de la Côte-d’Or, résidant à Beaune, canton du dit, département de la Côte-d’Or, profession de tonnelier, fils de Jean Pierre et de Michot Marie domiciliés à Arnay-le-Duc, canton du dit, département de la Côte-d’Or.

N°.85 de tirage dans le canton de Arnay-le-Duc.


Signalement :

Cheveux et, sourcils blonds,
yeux châtains, front ordinaire,
nez gros, bouche moyenne,
menton rond, visage ovale,
Taille : 1 m. 64 cent. Taille rectifiée : 1 m. _ cent.
Marques particulières : _
Degré d’instruction : générale : 3 / militaire : _.


Décision du conseil de révision et motifs :

Dispensé article 21
Frère au service
.

Compris dans la 2e partie de la liste du recrutement cantonal (_e portion).


Corps d’affectation / Numéros au contrôle spécial – matricule ou au répertoire

Dans l’armée active : 37e régiment d’Infanterie
Disponibilité et réserve de l’armée active : Régiment d’Infanterie – 05007
Armée territoriale et sa réserve : 57e régiment territorial d’infanterie – 18482


Détail des services et mutations diverses. (Campagnes, blessures, actions d’éclat, décorations, etc.)

Incorporé au 37e Régiment d’Infanterie à compter du 13 novembre 1897. Arrivé au corps et soldat de 2e classe le dit jour. Immatriculé sous le n°10541. Envoyé dans la disponibilité le 18 septembre 1898 en attendant son passage dans la réserve de l’armée active. Certificat de bonne conduite “accordé”.


Passé dans la _ de l’armée active le _.

Dans la disponibilité ou dans la réserve de l’armée active.

Affecté au régiment d’infanterie stationné à Auxonne.

A accompli une 1re période d’exercice dans le 10e Régiment d’Infanterie du 5 au 24 avril 1904.
A accompli une 2e période d’exercices dans le 10e Régiment d’Infanterie du 3au 30 juin 1907.
Passé dans l’armée territoriale le _.


Dans l’armée territoriale et dans sa réserve.

57e Régiment territorial d’Infanterie. Soldat – 277
Rappelé à l’activité par ordre de mobilisation générale du 2 août 1914. Arrivé au corps le 4 août dudit. Caporal le 26 octobre dudit. Décédé par pendaison (suicide) le 23 décembre 1914 à la caserne Béchaud du 172e d’Infanterie à Belfort.
Campagnes : Contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 23 décembre dudit.
. A accompli une période d’exercices dans le 57e régiment territorial d’Infanterie du 2 mai au 10 mai 1913
Passé dans la réserve de l’armée territoriale le _.
Libéré du service militaire le _


Localités successives habitées
par suite de changements de domicile ou de résidence

Dates / Communes / Subdivisions de région / D : Domicile, R : Résidence

21 septembre 1898 / Tain-l’Hermitage / Romans-sur-Isère / R
– 4 juin 1899 / Santenay / Auxonne / R
– 2 janvier 1900 / Beaune, faubourg St-Nicolas n°47 / R/
– 28 novembre 1902 / Beaune, faubourg Saint-Nicolas n°68 / D


Époque à laquelle l’homme doit passer dans :

La disponibilité de l’armée active :_
La réserve de l’armée active :1er novembre 1900
L’armée territoriale :1er 1910 / 1 octobre 1910
La réserve de l’armée territoriale : 1er novembre 1916 / 1 octobre 1916
Date de la libération du service militaire :1er novembre 1922 / 1 octobre 1922.

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Journal des marches et opérations du 57e régiment d’infanterie territoriale

Lorsqu’est déclarée la mobilisation le 2 août 1914, Félix Chauffard appartient depuis plusieurs années à l’armée territoriale. Pour les citoyens soumis au service militaire, la territoriale est la dernière étape des obligations militaires qu’ils doivent accomplir durant leur vie. Avec sa réserve, la territoriale regroupe les citoyens qui ont, environ, entre 35 et 45 ans. En 1914, ces hommes ont pour beaucoup effectué leur service militaire presque 20 ans auparavant. Exception faite des trois périodes d’exercice de trois semaines à un mois qu’ils peuvent être amenés à faire, ils n’ont plus guère d’expérience militaire qui corresponde à la nature de la guerre de 1914. L’âge de ceux qui sont parfois surnommés les « pépères » de l’armée doit être pris en compte. Beaucoup d’entre eux sont des pères de famille et, si les commissions de réforme sont censées trier les hommes avant leur incorporation, que ce soit dans l’active, la réserve ou la territoriale, il y a en réalité beaucoup de soldats en mauvaise santé qui sont envoyés se battre. Rappelés à l’activité, ce sont souvent les territoriaux qui dès la déclaration de la guerre gardent les voies de communication (routes, chemins de fer, canaux et rivières), occupent les dépôts et les forts, et suivent l’armée active et sa réserve au front pour effectuer des travaux d’aménagement ou de garde. Réuni à Auxonne, le 57e régiment territorial part rapidement pour Belfort pour aménager des défenses avec les unités du génie. Malgré les apparences, appartenir à la territoriale ne signifie pas être en seconde ligne ou à l’arrière. Les hommes sont souvent proches des premières lignes, voire directement en première ligne. Dès le 13 août, le 57e se retrouve sous un bombardement d’une grande violence. À cela s’ajoutent de nombreux exercices et marches car l’armée souhaite que les territoriaux retrouvent une certaine condition physique. Une partie du régiment part en Alsace, l’autre dans le Doubs, le dernier reste dans le Territoire de Belfort. Dans les mois qui suivent, les effectifs du régiment se rendent dans les Vosges et, surtout, dans le département du Haut-Rhin(1).

Éloignement familial, problèmes financiers ou de santé, impossibilité de s’acclimater aux conditions de guerre, stress post-traumatique, ou la peur de mourir au feu, nombreuses sont les raisons qui peuvent amener les soldats à vouloir en finir. Le 23 décembre 1914, au petit matin, le caporal Chauffard s’ôte la vie. Le journal du régiment, comme bien souvent, n’en fait pas état.

Entrées des 23 et 24 décembre 1914 :

23 décembre
Service habituel. Travaux aux tranchées.
24 décembre
Idem.

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Décès

N°12

Transcription du décès
de
Chauffard Félix

Du 9 février 1915

Extrait des registres des décès de la ville de Belfort pour l’année 1914.

L’An mil neuf cent quatorze le vingt quatre décembre à neuf heures du matin, pardevant nous Auguste Masson Adjoint au Maire remplissant par délégation les fonctions d’officier de l’Etat-Civil de la ville de Belfort (Haut-Rhin). Sont comparus à l’Hôtel de Ville les Sieurs Philibert Aulas, trente trois ans, sergent fourrier, et Georges Monnot, vingt-deux ans, soldat, les deux du cent soixante douzième Régiment d’Infanterie en garnison à Belfort, lesquels nous ont déclaré que Félix Chauffard né à Arnay-le-Duc (Côte-d’Or) le deux août mil huit cent soixante seize caporal au cinquante septième Régiment territorial d’Infanterie, fils de Jean-Pierre Chauffard et de Marie Michot, est décédé le jour d’hier, à sept heures et demie du matin  à la Caserne Béchaud située en cette ville et après nous être transporté auprès de la personne décédée pour nous assurer de ce décès, nous avons dressé le présent acte que les déclarants ont signé avec nous après lecture. Belfort le vingt un janvier mil neuf cent quinze. Pour extrait conforme délivré sur papier libre en vertu de l’article 80 du Code Civil. L’adjoint faisant fonction de Maire : signé Illisible. Vu pour légalisation de la signature de M. Houche, Adjoint au maire de de Belfort. Belfort le 22 janvier 1915.
L’administrateur faisant fonction de Préfet, le conseiller de Préfecture délégué : signé : illisible.
L’acte de décès ci-dessus a été transcrit le neuf février mil neuf cent quinze à huit heures du matin par nous Nicolas-Justin Hutin, Maire d’Arnay-le-Duc.
[Signature] Hutin


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Données additionnelles

Félix Chauffard quitte le berceau familial assez jeune. À ses 20 ans, au moment de faire son service militaire, il est tonnelier à Beaune. Après son service, il s’installe un temps à Tain-l’Hermitage, dans la Drôme, puis revient en Côte-d’Or, à Santenay, et enfin Beaune où il établit son domicile définitivement. Ses parents, Jean Pierre et Marie, restent à Arnay, où la famille semble établie depuis au moins deux générations, rue Voyen. Félix a neuf frères et sœurs, mais plusieurs ne survivent pas à l’enfance. Un arbre généalogique réalisé par M. Jean Claude Charlot est disponible sur ce lien.

Le 31 août 1901, Félix Chauffard contracte mariage avec mademoiselle Marie Loiseau, ouvrière en robes beaunoise, fille du jardinier Jean Baptiste Loiseau et de Gladie Boituzet(2). Ils ont au moins deux enfants, Jean Louis et Eugénie Antoinette. Jean Louis se marrie en novembre 1930 avec l’arnétoise Juliette Michaut(3).

La famille Chauffard vit plusieurs décès autour de cette année 1914. C’est d’abord le patriarche, Jean Pierre, qui s’éteint le 29 janvier(4). Lorsque débute la guerre, les frères de Félix sont également mobilisés. Un de ses aînés, Jean Baptiste, semble être déjà fortement malade d’une « bronchite spécifique ». Il est mobilisé quelques jours dans le 57e, comme son frère et les soldats Deblangey, Maufroy et bien d’autres, puis rejoint la 8e section territoriale d’administration avant d’être réformé et renvoyer chez lui, où il meurt le 31 mai 1915(5).

Le 30 décembre 1914, le conseil municipal est réuni pour la dernière fois de cette année qui marque le début d’une guerre qui ne s’est pas terminée à Noël. Monsieur le maire, Nicolas Hutin, s’exprime devant le conseil.

Conseil municipal d’Arnay-le-Duc

En ouvrant la séance du 30 décembre, M. Hutin, maire d’Arnay-le-Duc, a prononcé l’allocution suivante :

Messieurs et chers collègues,
Depuis cinq longs mois, une lutte gigantesque met aux prises les trois quarts des nations civilisées.
Pour conserver leur indépendance, des millions d’’hommes se sont levés et depuis cent cinquante jours luttent avec une admirable énergie pour nous préserver de l’odieux despotisme teuton.
Il vous souvient, Messieurs, de la poignante émotion qui nous étreignit tous à la nouvelle de la déclaration de guerre et avec quel superbe élan d’enthousiasme tous les Français en âge de porter les armes, réservistes, territoriaux, coururent à la frontière.
Nous ne savions pas à quel terrible adversaire nous avions à faire, nous ne savions pas que depuis un demi-siècle les pangermanistes préparaient dans l’ombre l’asservissement du genre humain.
Et cependant malgré les effectifs énormes, malgré les engins les plus redoutables, malgré les atrocités de toute nature, malgré la sauvagerie de barbares mettant tout à feu et à sang sur leur passage, nos armées ont résisté, elles ont vaincu et refoulent peu à peu l’envahisseur.
Malheureusement, dans cette lutte sans précédent, c’est par milliers qu’il faut compter et Arnay-le-Duc n’a pas été épargné. Je me bornerai à citer ici, les décès officiels.

C’est d’abord le fils de notre collègue et ami :
            Charles-Auguste Loidreau, sous-lieutenant au 99e d’infanterie, tombé glorieusement au champ d’honneur, le 25 août, en montant à l’assaut pour prendre un village dans un col des Vosges ;
            Ecochard, lieutenant au 22e d’infanterie coloniale, tué le 22 août,
(Belgique) ;
            Jules Croci, du 210e régiment d’infanterie, décédé le 11 novembre, à l’hôpital temporaire de Verdun ;
            Donzeau, sergent au 2e zouaves, tombé glorieusement au champ d’honneur,
(Somme), le 29 novembre ;
Félix Chauffard, caporal au 57e d’infanterie territoriale, décédé le 23 décembre, à Belfort.

Il faut un grand courage à ceux qui ont perdu un fils, à ceux qui pleurent un mari ou un frère.
Eh quoi ! cet être cher, il était là, il n’y a qu’un instant, plein de joie et de santé ; il était l’orgueil et l’espoir des siens, et maintenant seul nous reste son souvenir, son image gravée dans nos yeux, sa voix dont notre oreille vibre encore. Hélas ! le destin est passé par là !
Honneur et respect à ceux qui ont vu tomber un des leurs pour la patrie. Que la grandeur du sacrifice soit un allègement à leur douleur. Cette France, notre mère, pouvions-nous la laisser détruire ? Non ! L’esclavage qui nous guettait était pire que la mort.
A ce propos, Messieurs et chers collègues, laissez-moi vous soumettre une idée : A toute famille que la mort frappe nous apportons nos sympathies ; quand celui qu’elle pleure est mort pour la patrie, il se mêle à notre émotion un mouvement d’admiration qui cherche à s’exprimer durablement ; nous sentons qu’il ne faut pas que le souvenir s’anéantisse ; et instinctivement aspirons à le perpétuer.
Il est un lieu surtout où les noms chers et glorieux doivent à jamais revivre, c’est la maison du peuple. Il est juste qu’on y conserve la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour lui. Et je voudrais qu’à défaut d’autre tombeau, une place d’honneur fût réservée dans notre hôtel de ville à un marbre commémoratif où seront gravés les noms de tous nos chers disparus.
Il est un autre devoir auquel la municipalité n’a pas cherché à se dérober. Elle a voulu contribuer pour une part, modeste, il est vrai, aux secours que la patrie doit à ses défenseurs atteints par le feu de l’ennemi. Depuis plus de trois mois des militaires blessés reçoivent dans hôpital les meilleurs soins possibles ; nous nous efforçons de leur faire oublier leurs souffrances et de les mettre en état de reprendre leur faction à la frontière.
Notre sollicitude s’est également étendue aux éléments civils ; des distributions de vivres aux familles nécessiteuses ont été organisées dès le début des hostilités et je peux dire hautement que personne n’est venu vainement frapper à notre porte.
Et pour terminer, Messieurs, nous envoyons nos sentiments de vive reconnaissance avec nos meilleurs vœux à tous les enfants d’Arnay actuellement sous les drapeaux et en particulier, à nos deux collègues, MM. Le docteur Rogier et P. Roche.
Messieurs, je lève la séance en signe de deuil.

(6)

Il n’est pas fait mention de la manière dont est mort le caporal Chauffard. Ce n’est pas dit, d’ailleurs, que le maire d’Arnay-le-Duc est avisé du suicide, d’autant plus que Félix n’est plus son administré. Si le suicide est encore, de nos jours, un sujet tabou, il l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de soldats. Dans l’esprit de certains observateurs contemporains, la guerre est censée être cette grande entreprise purificatrice, qui doit revitaliser la « race française », tout en l’expurgeant de certains de ses éléments les plus faibles. Comment les valeureux poilus, qui défendent avec joie et ardeur la patrie contre le Hun, peuvent-ils se mutiler volontairement pour rentrer chez eux ou prendre leur propre vie ? Pourtant, il est difficile d’imaginer que cette pensée ne traverse pas l’esprit des soldats à un moment ou à un autre de leur experience de guerre. Penser le suicide pendant la guerre, c’est essayer de pénétrer au plus profond de la psychologie humaine. Comment imaginer le traumatisme que subissent ceux qui traversent une guerre, surtout une guerre d’une violence telle que ce conflit ? Des statistiques existent mais elles ne peuvent refléter la réalité d’un acte si personnel.
3 828 suicides ont été repérés par les historiens, mais ils sont beaucoup plus nombreux. Ils sont d’eux à Arnay-le-Duc, le caporal Chauffard et le chasseur Fauléau. Ils concernent souvent des hommes des classes les plus anciennes et prennent des formes variées(7). Certains, pris de folie ou de désespoir, se ruent vers les tranchées allemandes, peut-être en essayant de tuer quelques ennemis, mais surtout dans l’espoir d’être abattu. Léon Vuillermoz, un poilu franc-comtois, raconte qu’un de ses camarades « s’en alla jusqu’aux tranchées allemandes, déchargea son fusil et le magasin sur les sentinelles ennemies, puis s’en revint tranquillement sans se presser ; il s’assit sur le bord de notre tranchée, mais au moment de sauter dedans il reçut une balle à la tête et fut tué sur le coup ; il avait fait cet exploit sous l’emprise de la folie(8) ». D’autres se tirent une balle dans la tête, comme ce jour où l’infirmier Jean Pottecher voit ce « type de la 7e compagnie que je ne connais pas » qui « s’est suicidé hier d’un coup de révolver(9) ». D’autres se pendent, comme Félix Chauffard. La guerre pousse les hommes à devoir puiser au plus profond d’eux-mêmes pour résister psychologiquement. Un soldat peut être brisé le premier jour, un autre peut passer toute la guerre au front, vivre des millions d’horreur, et être brisé psychologiquement au dernier jour de la guerre après un obus de trop tombé trop près, après qu’un énième copain soit fauché, après avoir tué un ennemi au corps au corps et avoir vu le blanc de ses yeux. Dès le jour de la mobilisation, des officiers à Tulle et à Nevers se suicident, peut-être par peur d’aller au front. Les raisons sont multiples et uniques à chaque soldat. Louis Barthas, par exemple, évoque l’idée de tuer un de ses officiers qu’il déteste et d’ensuite mettre fin à ses jours.
Les réactions face au suicide de soldats sont variées. La crainte principale est que cela devienne épidémique et que des soldats prennent exemple sur leur camarade qui n’en pouvait plus. Sur le terrain, certains ont une réaction violente envers les soldats qui essaient de se suicider, Léon Vuillermoz évoque également cet homme « du 305e qui, un jour, monta sur la tranchée, malgré ses chefs et ses camarades ; un sergent l’abattit comme déserteur(10) ». D’autres officiers montrent plus de clémence, au point de presque effacer le suicide d’un homme. Ainsi, ce fantassin qui se jette seul vers le no man’s land afin de se faire descendre par l’ennemi est inscrit sur les registres comme tué à l’ennemi. Nulle trace du suicide, il est mort en héros pour la France, sa famille peut toucher une pension. Car c’est là un autre aspect terrible du suicide d’un soldat. Sa famille, outre avoir perdu un être cher, doit parfois vivre avec le regard sévère des autres, et elle doit vivre sans pension. Le suicidé n’est pas mort pour la France, et c’est bien une injustice, car c’est bien la guerre qui pousse à cet ultime acte de désespoir.

Vue éloignée de la tombe de Félix Chauffard Vue rapprochée de la tombe de Félix Chauffard

Tombe du caporal Chauffard à la nécropole de Belfort.
Photographie : courtoisie de Loïc Souverain

Félix Chauffard a plus de chance que certains de ses camarades suicidés. Son nom est inscrit sur les monuments aux morts d’Arnay-le-Duc et de Beaune, et il est enterré à la nécropole nationale Le Glacis du Château de Belfort, tombe 792, avec l’inscription « mort pour la France » (mais il n’a pas obtenu cette mention). D’autres sont ensevelis dans un simple trou, recouverts de terre et marqués d’une croix en bois anonyme pour être oubliés de la postérité, ultime punition pour ce qui est vu comme un des pires actes de lâcheté.

Nous recommandons l’article de Stéphanie Trouillard, disponible ici.

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Sources

  • A.D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1868 – 1876 (FRADO21EC 26/033), Chauffard Félix, n°79, 1876, vue 547/589.
  • A.D. de la Côte-d’Or, recrutement militaires (1867-1940), classe 1896, bureau d’Auxonne (R 2340), vue 267/879.
  • S.H.D, Mémoire des Hommes, Journaux des marches et opérations des corps de troupe, 57e régiment d’infanterie territoriale, 5 août 1914 – 22 novembre 1915 (26 N 786/16), vues 14-5/55.
  • A.D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1911 – 1915 (FRADO21EC 26/040), Chauffard Félix (transcription), n°12, 1914, vues 227-28/271.
  • (1) (s.n.) (s.d) Historique du 57e régiment territoriale d’infanterie, Chapelot (éditeur), 8 p. [En ligne] (consulté le 2 juin 2022).
  • (2) A.D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Beaune 1901 (FRADO21EC 57/131), Chauffard Félix – Loiseau Marie, n°55, 1901, vue 133/312.
  • (3) A.D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1927 – 1932 (FRADO21EC 26/043), Chauffard Jean Louis – Michaut Juliette Fernande, n°14, 1930, vues 180-81/292.
  • (4) A.D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1911 – 1915 (FRADO21EC 26/040), Chauffard Jean Pierre, n°11, 1914, vue 179/271.
  • (5) A.D. de la Côte-d’Or, recrutement militaires (1867-1940), classe 1894, bureau d’Auxonne (R 2304), vue 739/829.
  • (6) (5 janvier 1915), « Conseil municipal d’Arnay-le-Duc », in Journal de Beaune, p. 4 [En ligne] Disponible sur Retronews.
  • (7) Cazals, Rémy, Loez, André (2021), 14-18. Vivre et mourir dans les tranchées, Paris, Tallandier, p. 243.
  • (8) Idem.
  • (9) Trouillard, Stéphanie (15 août 2018), « Les suicidés, ces soldats oubliés de la Grande Guerre », in France24 [En ligne].
  • (10) Cazals, Rémy, Loez, André (2021), p. 241.