LANOISELEE Jacques Edouard Anne Marie

LANOISELÉE Jacques Édouard Anne Marie
dit Édouard

¤ 27 juin 1889 à Arnay-le-Duc
† 13 juin 1916 à Récicourt (Meuse)
Caporal-fourrier – 7e bataillon du génie – 26 ans
Tué à l’ennemi par un obus
Mort pour la France
Croix de Guerre
Médaille militaire

“Si Dieu veut me conserver pour le sacerdoce, Il saura bien me protéger ; si, au contraire, Il veut me rappeler à Lui, que sa volonté soit faite.”

Acte de naissance

N°68

Acte de Naissance
de
Lanoiselée
Jacques-Édouard
Anne-Marie
(légitime)

du 28 juin 1889

L’an mil-huit-cent quatre vingt neuf, le vingt-huit juin, à huit heures et demie du matin, pardevant nous Antoine François Vollot, Maire, officier de l’Etat civil de la ville d’Arnay-le-Duc, chef-lieu de canton, arrondissement de Beaune département de la Côte-d’Or, a comparu le sieur Lanoiselée, Jean-Mairie Edouard, âgé de vingt-trois ans, propriétaire domiciliée à Arnay-le-Duc, place d’armes, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né hier à trois heures trois quarts du soir en son domicile, de son mariage contracté à Arnay-le-Duc, le vingt-huit mai mil-huit-cent quatre vingt huit, avec Dureux, Marie, âgée de dix huit-ans, sans profession domiciliée avec lui, et auquel enfant il a déclaré donner les prénoms de Jacques-Édouard-Anne-Marie ; les dites présentation et déclaration faites en présence des sieurs Collard, Charles, âgé de quatre-vingt deux ans, rentier, et Torchin, Louis, âgé de soixante-douze ans, secrétaire de la mairie, tous deux domiciliés à Arnay-le-Duc et ont, le père de l’enfant et les témoins signé avec nous le présent acte de naissance, après lecture.
[Signatures] Lanoiselée Dureux / Ch. Collard / Torchin / A. Vollot

[Lien vers le document original]

Fiche matricule

Nom : Lanoiselée
Prénoms : Jacques Edouard Anne Marie
Surnoms : _
Numéro matricule du recrutement : 1321
Classe de mobilisation : 1909


État civil :

Né le 27 juin 1889, à Arnay-le-Duc, canton dudit, département de la Côte-d’Or, résidant à Besançon, canton dudit, département du Doubs, profession de mécanicien électricien, fils de feu Jean Marie Edouard et de Dureux Marie domiciliés à Arnay-le-Duc, canton du dit, département de la Côte-d’Or.

Marié à _.


Signalement :

Cheveux et, sourcils châtains,
yeux gris, front ordinaire,
nez moyen, bouche moyenne,
menton rond, visage à fossette,
Taille : 1 m. 62 cent. Taille rectifiée : 1 m. _ cent.
Marques particulières : _
Degré d’instruction générale : 3.


Décision du conseil de révision et motifs :

Classé dans la 1e partie de la liste en 1910.
Classé dans la _e partie de la liste en 19_.


Corps d’affectation / Numéros au contrôle spécial – matricule ou au répertoire

Dans l’armée active : 4e régiment du génie à Besançon – 3753
Disponibilité et réserve de l’armée active : 4e régiment du génie à Besançon – 11 / 03140
– 7e bataillon du génie – 11 / 03140

Armée territoriale et sa réserve : _


Détail des services et mutations diverses.

Inscrit sous le n°52 de la liste dans le canton de Arnay-le-Duc.
Incorporé au 4e régiment du génie à Besançon à compter du 5 octobre 1910.
Arrivé au Corps et sapeur de 2e classe le 5 octobre 1910.
Caporal le 13 avril 1911. Envoyé dans la disponibilité le 27 septembre 1912. Certificat de bonne conduite “accordé”. Affecté au 4e régiment du génie stationné à Besançon. Passé au 7e bataillon du génie (Plan XVII).
Rappelé à l’activité (mobilisation générale du 2 août 1914). Arrivé au corps le 3 août 1914. Caporal fourrier le 22 juin 1915.
Tué à l’ennemi le 13 juin 1916 à Récicourt (Meuse) (avis du corps du 12 juillet 1916)
.


Campagnes

Contre l’Allemagne du 3 août 1914 au 13 juin 1916.

Blessures, citations, décorations, etc.

Cité à l’ordre du génie de la 37e Division. Ordre n°38 en date du 18 juin 1916.


Périodes d’exercices

Réserve : 1re dans le7e bataillon du génie, du 2 au 23 juin 1914.
– 2e dans le_, du _ au _.
– Supplémentaire dans le_, du _ au _.
Armée territoriale : 1re dans le_, du _ au _.
– Supplémentaire dans le_, du _ au _.
Spéciales aux hommes du service de garde des voies de communication :_.


Localités successives habitées
par suite de changements de domicile ou de résidence

Dates / Communes / Subdivisions de région / D : Domicile, R : Résidence

9 octobre 1913 / Dijon, 2 rue Paul Cabet / Dijon / R


Époque à laquelle l’homme doit passer dans :

La réserve de l’armée active :_
L’armée territoriale :_
La réserve de l’armée territoriale : _
Date de la libération du service militaire :_.

[Lien vers le document original]

Journal des marches et opérations du 7e bataillon du génie (indépendant), 4e compagnie (7/4)

Le 7e bataillon du génie, à ne pas confondre avec le 7e régiment du génie, est un bataillon indépendant levé à Besançon, en Franche-Comté, en 1914. Édouard Lanoiselée appartient à la 4e compagnie du bataillon, affectée en avril 1916 à des travaux de toutes sortes dans la région nord-est de Verdun : construction et aménagements de défenses, de postes de commandement et d’abris. La compagnie est alors mise à la disposition de la 37e division d’infanterie du général Henri Niessel, et se positionne dans la forêt de Hesse, entre les villages d’Avocourt et de Récicourt. L’état des pertes de la compagnie n’est pas indiqué.

Du 20 avril au 5 juillet :

Elle [la compagnie] est chargée de tous les travaux dans la zone arrière de la division, à partir de la lisière Nord de la Forêt de Hesse, comprenant :
1° : l’organisation de la 2e et de la 3e position.
2° : la construction d’un poste de commandement de division à la ferme de Verrières.
3° : la construction d’un poste de commandement de brigade et d’abris pour les réserves.
4° : de la réparation et de l’entretien de la route Récicourt-Avocourt.
5° : de la construction d’une route à la lisière Ouest du bois de Récicourt
6° : de la construction d’abris de bombardement sur les pentes Nord de Récicourt.
7° : du montage de baraques Adrian dans le bois de Récicourt.
8° : de diriger le ramassage de bois en forêt pour alimenter la scierie.
9° : d’assurer le fonctionnement de la scierie de Récicourt.
            Au départ de la 37e Division, la compagnie reçoit les félicitations du Général commandant la Division.

37e Division.
Ordre n°5.569/3
Au poste de commandement le 5 juillet 1916.
Ordre
                                    Le général commandant la 37e Division tient à remercier la compagnie 7/4 du Génie, de l’excellent travail fourni dans le sous-secteur.
Ces bons résultats sont dûs à l’impulsion donnée par son chef Monsieur le Capitaine Miger, qui a fourni de très bonnes études et su organiser judicieusement ses chantiers.
                        Le Général Niessel
                        Commandant la 37e Division
                        Signé : A. Niessel

[Lien vers le document original]

Décès

N°49

Transcription de l’acte de
décès de Lanoiselée
, Jacques
Édouard Anne-Marie

Mort pour la France

L’an mil neuf cent seize, le treize du mois de Juin, à vingt une heures quarante cinq minutes, étant au bois de Récicourt, commune de Récicourt, Meuse, acte de décès de Jacques-Édouard Anne-Marie Lanoiselée, caporal-fourrier au 7e bataillon du génie, 4e bataillon*, immatriculé sous le numéro zéro trois mille cent quarante, né le vingt-sept juin mil huit cent quatre vingt neuf à Arnay-le-Duc, canton dudit, département de la Côte-d’Or, domicilié en dernier lieu à Arnay-le-Duc, Côte-d’Or, ‘’Mort pour la France’’, Bois de Récicourt, commune de Récicourt, Meuse, le treize du mois de juin, à vingt-une heures, quarante cinq minutes, tué à l’ennemi, fils de feu Jean Marie Édouard et de Dureux Marie, domiciliée à Arnay-le-Duc, célibataire, conformément à l’article 77 du Code Civil, nous nous sommes transporté auprès de la personne décédée et assuré de la réalité du décès. Dressé par nous François-Hippolyte Debien, sous-lieutenant, décoré de la Croix de Guerre, 4e compagnie du génie, officier de l’État-Civil sur la déclaration de Aimé Alexandre Gabriel Ogier Collin, vingt-sept ans, sergent-fourrier et de Joseph Rey, trente-six ans, compagnie 7/4 du génie, témoins qui ont signé avec nous, après lecture. Suivent les signatures. Vu par nous Garnier Fernand, sous-intendant militaire, pour légalisation de la signature de M. Debien sus-qualifié.
Signé : Garnier. Vu pour légalisation de la signature de M. Garnier Fernand.
Paris, le 8 juillet 1916
Le ministre de la Guerre
par délégation, le chef du bureau des archives administratives.
Signature illisible
L’acte de décès ci-dessus a été transcrit le vingt deux août mil neuf cent seize, dix heures, par nous Nicolas Justin Hutin, maire d’Arnay-le-Duc.
[Signature] Hutin

* Il s’agit de la 4e compagnie, et non du 4e bataillon.
[Lien vers le document original]

Données additionnelles

La famille Lanoiselée possède au début du XXe siècle une chapellerie et mercerie sur la place Carnot, dite de la Mairie. Elle a la réputation d’être une famille très pieuse(1). Édouard Lanoiselée, qui est fils unique, perd son père Jean Marie en 1902. Dans un premier temps, Édouard Lanoiselée semble se destiner pour une carrière dans l’électricité. Il part étudier à Besançon et entre à l’École nationale d’horlogerie dont l’établissement est aujourd’hui le lycée Jules Haag. Il est diplômé « élève breveté » en 1909 à l’issue des examens de fin d’études. Il est le cinquième élève de sa promotion : Maurice Trognon, Alfred Girod et Alcide Baqué obtiennent une médaille d’argent, Paul Bach, Edouard Lanoiselée, Louis Billot et Gustave Landriat sont brevetés(2). Un an plus tard, Édouard Lanoiselée effectue son service militaire au 4e régiment du génie caserné à Besançon. Il est promu caporal quelques mois plus tard et est libéré le 27 septembre 1912. Est-ce à la suite de son service qu’Édouard se rend à Rome ? Ou était-ce avant ? Nous avons de lui une carte postale écrite à son « cher Jean », certainement un ami, peut-être un cousin. Le verso de la carte est une photographie signée Rimet de la place Carnot où la boutique Lanoiselée est visible. La boutique existe toujours après le décès de Lanoiselée père, menée par la mère d’Édouard, recensée en 1911 sous le nom de Maria Dureux, mercière.

Recto de la carte postale écrite par Lanoiselée(3).
Cliquer pour agrandir.

Dans cette lettre à Jean, Édouard écrit être bien rentré « à bon port » à Arnay-le-Duc après un voyage à Rome qu’ils ont fait tous les deux. Il demande à Jean de ne pas parler « aux noblats » d’Arnay de ce voyage, car « si ils le savaient ils ne tarderaient pas à le répéter chez eux ou à l’écrit à Mr. [ ?] ». Le nom de l’homme qui ne doit pas apprendre l’existence de ce voyage est difficilement lisible. Il pourrait s’agit d’un M. Bourgogne, patronyme porté par quelques familles arnétoises. Lanoiselée insiste sur la nécessité de garder secret ce voyage, « donc qu’il n’en soit pas question » de dire quoique ce soit à ce sujet.

Verso de la carte postale écrite par Lanoiselée.
Cliquer pour agrandir.

Peut-être est-ce à cause d’un employeur potentiel ? Ou d’un contexte religieux particulier. En effet, la foi à Arnay-le-Duc connait quelques soubresauts avant la guerre. Elle n’est pas le point fort du maire Nicolas Hutin. Du moins, qu’il soit lui-même croyant ou non, il est attaché à la laïcité nouvelle et entre dans un bras de fer avec l’abbé Didier qui fait beaucoup de bruit. Au début de son mandat, en le 12 juin 1912, monsieur le maire Hutin prend la décision d’interdire par arrêté municipal les processions religieuses à Arnay-le-Duc. Cette décision provoque évidemment l’ire de l’abbé Didier et de monseigneur Monestès, évêque de Dijon. L’évêque fait publier dans le journal L’Univers sa lettre à l’abbé arnétois dans laquelle il dénonce « un acte d’hostilité contre les catholiques(4) ». Le conflit entre le maire et l’abbé dure environ deux ans et résonne jusqu’aux plus hautes sphères de la justice française puisque le Conseil d’État est saisi. Ce dernier se positionne finalement en faveur de l’abbé Didier à la fin du mois d’avril 1913, stipulant que les processions religieuses ne peuvent être interdites si elles ne remettent pas en cause l’ordre public. C’est dans ce contexte qu’Édouard Lanoiselée décide d’abandonner une carrière d’électricien spécialisé pour entrer dans les ordres. À partir du 9 octobre 1913, il réside officiellement au 2 rue Paul Cabet, alors emplacement du séminaire, où il vient d’entrer. Il y rencontre peut-être son coreligionnaire Vatan, futur prélat d’Arnay-le-Duc.

Lorsque la guerre éclate en août 1914, Édouard Lanoiselée, qui n’est pas encore prêtre, a le choix d’être détaché dans une usine en temps qu’ouvrier électricien. Mais il refuse de « s’embusquer » à l’arrière car il est jeune et sa qualité de futur prêtre l’empêche d’abandonner les siens. C’est lui-même qui emploie ce terme d’embusqué dans une lettre, rapporté par la presse après sa mort. Revêtu de son uniforme de caporal, l’abbé Lanoiselée est incorporé au 7e bataillon du génie mis en place à Besançon. Il sert avec bravoure et distinction, ce qui lui vaut en 1916 d’être cité à l’ordre de la division, notamment pour une opération de l’année précédente, ainsi qu’il est mentionné dans le Livre d’or du clergé et des congrégations :

† LANOISELEE (Edouard), de Dijon.
Né à Arnay-le-Duc, le 27 juin 1889 ; diplômé École horlogerie de Besançon ; séminaire. – Mobilisé (Service Armé), compagnie 4e Génie (août 1914) ; caporal-fourrier ; vingt et un mois de front.
Tué le 18 juin 1916, à Verdun, par un obus tombé sur son abri.
1° Ordre Génie Division, n°89, le 18 juin 1916 : « Gradé plein d’entrain, courageux, dévoué, a toujours fait preuve d’abnégation et d’esprit de sacrifie ; s’est particulièrement distingué, le 2 avril 1915, en opérant une destruction de voie ferrée en avant des lignes ennemies. Tué par un obus, le 13 juin 1916 ».
2° Médaille militaire, posthume.

(5)

L’opération menée par Lanoiselée dans les environs de Soissons (Aisne) est rapportée dans le journal des marches et opérations de la compagnie aux dates du 26 mars au 14 avril :

Les 8 sections de Soissons sont employées dans le secteur de Soissons (boucle de l’Aisne) à des travaux de Mine (saillant de St. Paul et distillerie) et aux travaux de progression de la 126e Brigade (établissement de réseaux de fil de fer en avant de la nouvelle ligne).
Le 10 avril un détachement commandé par le caporal Lanoiselée fait sauter la voie ferrée en avant de la ligne.
La section détachée à Villeneuve est employée à des travaux d’organisation défensive dans le secteur de Villeneuve.

(6)

Au soir du 13 juin 1916, le caporal Lanoiselée est tué par un obus tombé sur sa tente installée au « bois de Récicourt », probablement le bois de Hesse. Il semble qu’il soit mort sur le coup. Deux semaines plus tard, le journal Le Bien du peuple de Bourgogne reprend un article paru dans La Semaine religieuse, signé E. Burtey, évoquant tant la mort de Lanoiselée que son attitude face à la guerre, illustré par des extraits de lettres de feu l’abbé :

M. L’ABBE LANOISELEE
Mort pour la France

On lit dans la Semaine Religieuse :

Il y a quelques semaines, nous publiions, sous les initiales E.L., l’extrait d’une lettre annonçant la mort du P. Guillemin. Elle s’achevait sur ces lignes : « Croyez, cher Monsieur le Supérieur, que je n’oublie dans mes prières ni le séminaire, ni nos morts, dont la liste déjà longue s’allonge bien cruellement encore. »
Et c’est son propre nom qu’il nous faut inscrire aujourd’hui sur cette liste des séminaristes et des prêtres morts à la guerre !
Caporal fourrier dans une compagnie du génie, M. l’abbé Lanoiselée fut tué, le 14 juin, à neuf heures du soir, par un obus tombé sur sa tente ; il repose maintenant au cimetière militaire de Récicourt, arrondissement de Verdun.
Plus d’une fois il avait vu la mort frapper à ses côtés et, tout en gardant l’espérance d’une ordination future, il s’abandonnait pleinement à la volonté divine. Il nous écrivait, à ce sujet, l’avant-veille de sa mort : « Malgré mon plein abandon en la volonté de Dieu, je veux garder encore ce bel espoir qu’un jour, mon tour viendra aussi !… si telle est la volonté divine. »
Originaire d’Arnay-le-Duc, il était entré au séminaire de Dijon, le 30 septembre 1913, mû surtout par le désir très vif d’apostolat qui avait pris son âme depuis plusieurs années. Il avait alors 24 ans et renonçait à une belle situation qui lui était offerte dans une entreprise d’électricité. Nous notons ce dernier détail, car cette circonstance lui aurait permis de faire une demande pour entrer dans une usine de guerre, quand l’État y appelait les ouvriers spécialisés. Il ne le voulut pas : « Je ne crois pas, écrivait-il le 11 janvier 1916, devoir accepter d’être embusqué à l’arrière. Mes raisons sont nombreuses et sérieuses de rester au front (ne serait-ce qu’à cause de l’exemple), et les motifs pour aller à l’arrière me paraissent insuffisants. Il est d’ailleurs très douteux que je puisse trouver dans la vie d’ouvrier mobilisé la possibilité d’étudier et surtout le soutien moral que je puise dans l’assistance à peu près quotidienne à la messe. S’il est vrai que la vie au front est desséchante, elle n’amollit pas l’âme comme de vivre dans le milieu des usines militarisées.
« Mon devoir, tant à cause de ma qualité de futur prêtre qu’à cause de ma jeunesse, est de garder ma place au danger. Si Dieu veut me conserver pour le sacerdoce, Il saura bien me protéger ; si, au contraire, Il veut me rappeler à Lui, que sa volonté soit faite. Je n’ai jamais désiré autre chose ici et c’est pourquoi j’ai toujours, même au plus fort du danger, gardé ma paix intérieure très grande.
« Il m’est dur, croyez-le bien, de ne pas mettre fin aux angoisses de ma mère et de ceux qui pense à moi, en allant à l’arrière. Mais n’est-ce pas leur donner en même temps une grande marque d’affection que d’exposer ma vie pour les défendre ? »
Il ne revint pas sur cette décision si simplement généreuse et il écrivait le 3 février :
« Je suis heureux d’avoir maintenu ma décision de rester au front… Certes, ce n’est pas sans inquiétude que je vois, avec la guerre, se prolonger cette vie où tout travail intellectuel m’est devenu à peu près impossible. Mais n’est-ce pas accomplir la volonté de Dieu que d’accepter de vivre dans ce milieu qu’Il m’impose, loin du silence fécond du séminaire, loin des miens, loin de la vie que je m’étais choisie ? »
L’accomplissement de la volonté de Dieu, en toutes choses, et malgré ce qu’il en coûte pour le réaliser, fut l’attrait de ce vaillant qui continuait, au front, à pratiquer l’apostolat. Ses frères d’armes auraient sans doute plus d’un trait édifiant à nous raconter, ceux-là surtout avec lesquels, dans les derniers jours, il faisait chaque soir une courte promenade au cours de laquelle on récitait le chapelet et on lisait parfois un chapitre de l’Imitation. La mort l’a fauché en plein exercice de zèle pour la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus : « J’espère qu’un certain nombre de mes camarades n’hésiteront pas devant un acte plus positif que le port d’insignes religieux et se consacreront au Sacré-Cœur… Je me propose de recueillir moi-même les consécrations que j’aurai pu obtenir après avoir expliqué à mes camarades de quoi il s’agit. Plusieurs déjà m’ont promis de le faire. »
Ces lignes furent écrites deux jours avant sa mort : quelle belle préparation ! et quelle perspective elles nous ouvrent sur la rencontre du pieux-séminariste-soldat avec le Sauveur très aimé !…
                                                                                                                                    E. BURTEY

(7)

Initialement inhumé à Récicourt, où il est tué, son corps est par la suite rapatrié à Arnay-le-Duc, où il repose encore aujourd’hui. Il y a quelques années, sa tombe était menacée d’être relevée par la municipalité, la présence d’une plaque indiquant sa mort pendant la bataille de Verdun ne constituant pas une preuve de sa mort « pour la France ». Après l’opposition de plusieurs habitants et des vérifications, sa sépulture est préservée de cette menace.

Photographie de la plaque sur la tombe de Lanoiselée.
La plaque sur la tombe de Lanoiselée.

En 1919, un certain chanoine Verdunoy, de Dijon, au nom quelque peu ironique, écrit et publie une biographie de l’abbé Lanoiselée, qui doit servir de modèle aux bons chrétiens. Nous n’avons pu nous procurer un exemple de ce rare petit ouvrage. En revanche, sa parution est rapportée par la presse en 1919, dans le même Le Bien du peuple de Bourgogne :

BIBLIOGRAPHIE
EDOUARD LANOISELEE, séminariste-soldat, 1889-1916
. (Chanoine Verdunoy). – Un vol. in-12 : 3 fr. 90. (Paris, Bloud et Gay).
Originaire d’Arnay-le-Duc, diplômé de l’école d’horlogerie de Besançon, puis élève du grand séminaire de Dijon, Edouard Lanoiselée fut tué en 1916. Par suite des milieux si différents où vécut notre jeune compatriote, sa biographie intéressera particulièrement les élèves de collège, les étudiants, les ouvriers, les apôtres laïques, les petits et grands séminaristes, les membres des patronages ; plus spécialement encore peut-être les âmes inquiètes, souffrantes, découragées, toutes celles qui semblent marcher dans les ténèbres et cherchent leur voie. L’ouvrage est en vente aux librairies Benoist, Meuriot et Vincent.

(8)

La mémoire de l’abbé Lanoiselée est rappelée en décembre 1922 dans un article virulent publié par J. Jacob, à nouveau dans Le Bien du peuple de Bourgogne. Celle de l’abbé Vatan l’est également par la même occasion. Il s’agit d’une réponse à article publié quelque temps auparavant dans le journal Le Populaire, de gauche et anticlérical. Un correspondant de Baubigny, petit village situé près de Beaune en Côte-d’Or, accuse anonymement prêtres et autres hommes d’église d’être des embusqués pendant la guerre. Cette accusation provoque l’ire de J. Jacob qui répond alors à cette :

Polémique infâme

Le Populaire vient de publier, de son correspondant de Baubigny, un article ignoble. Il ne dit pas son nom. C’est dommage. Nous lui aurions joliment lavé la tête. Il ose écrire que « les curés se sont éloignés des tueries de la guerre le plus possible », et il ajoute « J’ai appartenu à trois régiments : 57e, 61e et 259e territorial… En vain j’ai cherché à rencontrer un curé pendant trois années ».

Si cet infâme insulteur avait seulement jeté un coup d’œil autour de lui, il aurait reçu par les faits un démenti catégorique. Voyez un peu : M. l’abbé Thévenot, curé de Volany, a laissé une jambe dans les tranchées. Ont été tués au front : M. l’abbé Berthault, de Saint-Prix, caporal au 109; M. l’abbé Vatan, vicaire à Arnay-le-Duc, sergent au 27; M. l’abbé Perreau, né à Nolay, vicaire à Beaune, sergent au 27; M. l’abbé Joly, vicaire à Brazey-en-Plaine, sergent au 109; M. l’abbé Gibas, né à Beaune, professeur à l’école Saint-François-de-Sales, capitaine au 210; M. l’abbé Voisard, vicaire à Beaune, capitaine au 10; M. l’abbé Robert, vicaire à Pagny-la-Ville, caporal au 113e, et M. l’abbé Barbey, curé de Bagnot, brancardier, etc…
Je ne cite, et à dessein, que des prêtres tués dans les tranchées, de la région du lâche insulteur de Baubigny. Malheureusement il y en a eu d’autres, sans sortir de notre diocèse.
Mais, dira-t-il qu’aucun de ceux que je cite ne faisait partie de son régiment. Eh bien ! je vais lui donner satisfaction.
Il y avait au moins un prêtre au 57e territorial pendant la guerre, l’abbé Louis Ponnelle, originaire de Beaune, classe 1889. Il y a été dès le premier jour de la mobilisation et il est arrivé aussitôt que le régiment dans les tranchées d’Alsace.
L’abbé Ponnelle se trouvait au 57e territorial par sa volonté ; c’est lui qui avait choisi d’être au milieu des combattants plutôt que dans un hôpital ou une ambulance.
Il est impossible que l’insulteur de Baubigny ne l’ait pas connu, 1° parce que son humeur expansive et sa bonne camaraderie forçaient à le remarquer ; 2° parce que sa bravoure était légendaire au régiment. Si vous maintenez que vous n’avez pas souvenir de lui, il faut croire que vous étiez, vous-même, en dépôt du 57e territorial, et non pas au front.
Il a célébré la première messe sur le sommet de l’Hartmannswillerkopf, quand nous l’avons conquis : mais vous n’y assistiez vraisemblablement pas.
L’abbé Ponnelle est arrivé au 57e simple soldat. C’est sa valeur au front qui lui a mérité ses grades de même que ses citations.
Il est resté au 57e jusqu’au début de 1916 ; alors il est passé dans un régiment d’attaque, le 401; s’il n’y a pas été versé plus tôt, c’est parce que ses chefs voulaient le garder à tout prix et refusaient de transmettre sa demande d’y être envoyé. À lui, un régiment de territoriaux ne suffisait pas : il voulait un régiment d’active.
Il fut calomnié de son vivant, comme il lui arrive de l’être par sons, après sa mort. La personne qui l’avait calomnié, en 1916, lui en demande publiquement pardon par lettres insérées dans le Bien Public du 11 juin 1916, dans le Bien du Peuple du 18 juin 1916, le Journal de Beaune et l’Avenir Bourguignon du 10 juin 1916. Nous prévenons le calomniateur de 1922 que, s’il recommençait sa mauvaise action, il lui en coûterait des désagrémens plus graves que celui d’une amende honorable forcée.
                                                                                                            J. JACOB.
P.-S. – Citons encore, dans l’arrondissement du vil insulteur de Baubigny, MM. les abbés Mignon, de Beaune, Mazoyer, de Voudenay, Bardollet, de Santenay, Lanoiselée, d’Arnay-le-Duc, et Clémendot, de Menessaire. Tous sont tombés dans les tranchées.
Le Populaire de Bourgogne osera-t-il encore affirmer, avec son lâche correspondant de Baubigny, qu’on ne voyait pas de curés dans les tranchées ? Que ne parle-t-il du citoyen Barabant ?
EN voilà un qui n’a pas fait long feu au milieu des tueries du front. Il y est resté juste quarante-deux jours. Puis il est allé se reposer mollement sur un fauteuil du Palais-Bourbon, où il gagnait 41 fr. 10 par jour, tandis que ses camarades et les curés peinaient et mourraient dans les tranchées à 0 fr. 25. Il faut avoir du culot à la rédaction du Populaire pour réveiller de pareils souvenirs.
On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu.

(9)

Des études récentes donnent raison à M. Jacob, et non au correspondant anonyme de Baubigny. Ils sont environ 9 350 religieux à servir dans l’armée française pendant la guerre. Prêtres et frères enfilent l’uniforme militaire et doivent pour certains composer difficilement entre leur loyauté à l’Église et à la France. 1 517 meurent(10). Allier patriotisme et foi en Dieu n’est pas toujours chose aisée pour ces hommes qui doivent se résigner à potentiellement tuer des coreligionnaires. Le contexte des années d’avant-guerre n’est par ailleurs pas le plus sain entre l’Église et l’État, et beaucoup d’hommes de foi sont accusés de ne pas être loyaux à leur pays voire d’être des traitres. À moins qu’ils ne résultent d’une vendetta personnelle de cet homme contre ceux qui portent la soutane, les propos du correspondant reflètent à la fois l’anticléricalisme de cette période et la colère, et la recherche, contre les embusqués. Aux yeux de ceux frappés de cette « embuscomanie », pour reprendre un terme de Ridel(11), prêtres, nobles et bourgeois sont coupables de s’être débinés pendant la guerre, préférant laisser paysans et ouvriers seuls face au danger des tranchées. C’est un reflet des tensions sociales présentes plus largement dans le pays, qui n’est pas la réalité. Comme les nobles et bourgeois, les les religieux répondent à l’appel en 1914. Certains missionnaires traversent le globe pour rejoindre les drapeaux. La guerre marque un tournant dans l’histoire du catholicisme français car le sacrifice auquel consentent les religieux leur permet une réintégration dans la société. Même si certains dérogent à la mobilisation et ne reviennent pas en France par choix, le nombre de ceux qui acceptent l’appel est suffisant pour ne pas douter de la loyauté des hommes d’Église envers leur pays.

Par sa mère, Lanoiselée est cousin germain du soldat Jules Coulon.

Carte

Sources

  • A. D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1885 – 1892 (FRAD021EC 26/035), Lanoiselée Jacques Édouard Anne Marie, n°68, 1889, vue 285/585.
  • A.D. de la Côte-d’Or, recrutement militaire (1867-1940), classe 1909, bureau d’Auxonne (R 2464), vue 475/519.
  • S.H.D, Mémoire des Hommes, Journaux des marches et opérations des corps de troupe, 7e bataillon du génie (indépendant), 4e compagnie (7/4), 2 août 1914 – 31 décembre 1916 (26 N 1310/4), vue 52/54.
  • A. D. de la Côte-d’Or, état civil numérisé, Arnay-le-Duc 1916 – 1920 (FRAD021EC 26/041), Lanoiselée Jacques Édouard Anne Marie, n°49, 1916, vue 25/329.
  • (1) Godard, Didier (2019), Dictionnaire historique d’Arnay-le-Duc, Arnay-le-Duc, éditions d’Arnay.
  • (2) (20 août 1909), « Ministère du commerce et de l’industrie » in Journal officiel de la République française. Lois et décrets, p. 8876 [En ligne] Disponible sur Gallica.
  • (3) Carte postale : courtoisie de M. Didier Godard.
  • (4) (29 juin 1912), « La vie religieuse » in L’Univers, p. 3 [En ligne] Disponible sur Retronews.
  • (5) Boulesteix, Calixte (1924), Livre d’or du clergé et des congrégations : 1914-1922. Deuxième partie lettres L-Z, tome II, Paris, p. 936. [En ligne] Disponible sur le site Eglise catholique en Finistère (consulté le 1 mars 2022).
  • (6) S.H.D, Mémoire des Hommes, Journaux des marches et opérations des corps de troupe, 7e bataillon du génie (indépendant), 4e compagnie (7/4), 2 août 1914 – 31 décembre 1916 (26 N 1310/4), vue 27/54.
  • (7) (2 juillet 1916), « M. l’abbé Lanoiselée » in Le Bien du peuple de Bourgogne, pp. 2-3 [En ligne] Disponible sur Retronews.
  • (8) (28 septembre 1919), « Bibliographie » in Le Bien du peuple de Bourgogne, p. 4 [En ligne] Disponible sur Retronews.
  • (9) (24 décembre 1922), « Polémique infâme » in Le Bien du peuple de Bourgogne, p. 1 [En ligne] Disponible sur Retronews.
  • (10) Boniface, Xavier (2021), « Les religieux dans la Grande Guerre » in Guerres mondiales et conflits contemporains, n°282, pp. 55 à 73.
  • (11) Ridel, Charles (2017), Les embusqués, op. cit., (version numérique non paginée).