Photographie de la tombe de François Rieu au cimetière de Beaune. La tombe a la forme d'une épée plantée dans le sol. On lit : Soldat. RIEU François. Camp de Sasoge. 19 janvier 1919.

Le calme

La nuit du 15 ou 16 janvier 1919, au lieu-dit de Sasoge, à Foissy près d’Arnay-le-Duc.

Un beau tapis de neige couvrait le sol des Portes du Morvan. Le froid était là mais l’atmosphère demeurait paisible. Il régnait ce vent impavide revenu depuis peu après 4 longues années d’absence.

Lire la suite : Le calme
Photographie de la tombe de François Rieu au cimetière de Beaune. La tombe a la forme d'une épée plantée dans le sol. On lit : Soldat. RIEU François. Camp de Sasoge. 19 janvier 1919.

Le matin approchait doucement lorsque le calme fut rompu par une effervescence inquiétante provenant du camp tout proche. Des cris se firent entendre, puis des pas pressés, on courrait dans la neige vierge avec urgence. Le rythme s’accéléra, la course était une traque. Une personne, puis deux autres à ses trousses troublèrent la quiétude de l’aurore à venir.

  • Halte !
  • Arrête-toi !

Pan ! Pang ! Tous les pas cessèrent et une masse inerte s’écrasa au sol, colorant en rouge la blanche nature. Les détonations réveillèrent oiseaux et hameau.

Les deux traqueurs s’approchèrent du corps. C’étaient des soldats, des gardes du camp des exclus de Sasoge, vêtus de bleu horizon et tremblant de froid et d’adrénaline. Les deux coups de fusil avaient fait mouche. Passés l’odeur âcre de la poudre, ils s’approchèrent du corps de leur cible et le retournèrent. Des yeux luisant d’absence éclairaient la pâleur de son visage. Un soupçon de vapeur d’eau s’échappait encore de sa bouche. Il n’était pas mort.

Les soldats saisirent l’homme meurtri qu’ils venaient d’abattre. Dans une course aussi effrénée que leur traque, ils rebroussèrent chemin pour le conduire au médecin de camp. Détenus, gardes et officiers étaient attroupés vers l’entrée pour découvrir les raisons de cette commotion matinale. Les soldats déposèrent le blessé auprès du médecin qui s’essaya à apporter les premiers soins à celui qui désormais gémissait d’agonie.

Tous avaient l’air grave. Encore une évasion, quoique cela faisait longtemps qu’on n’avait pas assisté à un tel spectacle. Avec la fin de la guerre la plupart des détenus avaient repris espoir de rentrer chez eux. Ils attendaient la fin de leur peine ou une grâce quelconque. Ces détenus n’étaient pas des Boches, ceux-là étaient partis depuis longtemps. Tous, dans le camp de Sasoge, ou atelier de travaux publics n°63, étaient Français. Mauvais soldats, désobéissants, déserteurs, la justice militaire les envoyait purger leur peine dans ces camps. Comme ils ne faisaient pas leur devoir aux armées, ils devaient attendre et travailler pour être libres. A Sasoge, extraire des pierres pour le compte de l’entreprise Hory était le labeur de ceux qui étaient surnommés les Joyeux. Ce 16 janvier, l’un d’entre eux avait tenter le tout pour le tout. Il en eut assez.

Le médecin de camp était incapable de sauver l’évadé. Ses moyens étaient trop sommaires. Avec l’accord du commandant, il fut décidé d’évacuer le blessé jusqu’à Beaune. Encore fallait-il attendre le train qui reliait Beaune à Semur-en-Auxois en passant par Foissy et Arnay-le-Duc. Il arrivait, enfin, après quelques heures d’une attente épouvantable et le mourant pouvait être mis dans le train, sous escorte, avec un médecin qui ne pouvait que retarder ce qui semblait inévitable. Direction les Hospices de Beaune.

Dans la poche de l’homme se trouvaient ses papiers. On le savait forte tête, quelque peu chapardeur, réfractaire à l’autorité mais nullement couard. François Rieu, soldat au 4e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, classe 1906. Aurillac. Un peu gringalet, yeux bleus-gris, cheveux châtains, Rieu connaissait déjà la justice civile : abus de confiance, vol, port d’armes prohibé. Il était en prison quand la guerre commença alors à sa libération il fut envoyé au « Bat d’Af », ou bataillon d’Afrique, là ou servaient les repris de justice, les anarchistes, les objecteurs, les criminels ou les homosexuels. Comme la plupart des Joyeux des Bat d’Af, Rieu s’était illustré pendant les combats. « Grenadier émérite », « sang-froid et calme admirables » pouvait-on lire dans sa citation à l’ordre du bataillon en mai 1917. Tout bascula quelques mois plus tard. Il manquait à l’appel le 10 octobre 1917 à l’issue de sa permission. Le 13 on le déclarait déserteur, le 16 il se présentait à sa compagnie. La peine tomba un mois plus tard : 14 ans de réclusion. Et le 16 janvier 1919 à Sasoge ? François Rieu en eut assez, certainement.

Aux Hospices se mêlaient civils et militaires blessés ou convalescents. On ne pouvait rien faire pour Rieu, les deux balles et le temps avaient fait leur affaire. Pierre Mignotte et Henriette Ansler firent rédiger l’acte de décès au premier adjoint de la ville. On mit en terre le joyeux exclu.

Aujourd’hui François Rieu repose avec ses camarades au carré militaire du cimetière de Beaune. Là où l’on lit habituellement le nom de l’unité et la mention « Mort pour la France », on lit « Camp de Sasoge ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *