L’écho saumurois était un périodique fondé en 1841 qui traitait de l’actualité politique, littéraire, locale et partageait annonces et faits divers. Les numéros parus entre 1853 et 1939 peuvent être consultés sur le site des Archives municipales de la ville de Saumur. En alliant des informations trouvées dans L’écho saumurois et l’état civil de Saint-Hilaire-Saint-Florent, près de Saumur dans le Maine-et-Loire, j’ai pu reconstituer une partie de la triste histoire de mon arrière-arrière-arrière-grand-mère, Marie Louise Georges, épouse Ruesche.

L’écho saumurois – Édition du 6 décembre 1853 – Archives de la ville de Saumur [En Ligne]
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Marie Louise est née le 11 janvier 1817 à Beaufort-en-Vallée, bourg situé entre Angers et Saumur, aujourd’hui devenue la commune nouvelle de Beaufort-en-Anjou. Elle est la fille de Mathurin Georges et de Marie Catherine Lemasson (ou Masson). Jusqu’au XIXe siècle, Beaufort est assez prospère et de nombreux habitants participent à la fabrication des toiles nécessaires à la création des voiles de navires, comme c’est certainement le cas de Mathurin qui est filassier. Le filassier joue un rôle important dans l’industrie du textile puisque c’est lui qui lave et blanchit le fil de lin et de chanvre.

Naissance de Marie-Louise, 11 janvier 1817 – A.D.49 [En ligne]


Marie Louise a au moins un frère aîné, lui-aussi prénommé Mathurin, né en 1814, et un frère cadet né en 1818, Jean. Je n’ai aucune information sur Jean à ce jour, mais Mathurin fils devient lui aussi filassier et marchand de chanvre, et épouse Anne Euphrasie Proust, dont descendance.

En 1837, Marie Louise épouse à Beaufort le sieur François Ruesche, tisserand originaire de Saint-Lambert-des-Levées, une commune plus au sud qui borde la Loire et est aujourd’hui rattachée à Saumur. Marie Louise est fileuse au moment de son mariage qui illustre la tradition de se marier avec des gens dont le métier est si non le même, au moins dans un domaine proche.
François est le fils d’un cultivateur de Saint-Lambert, Urbain Antoine, et de feue Perrine Dufour décédée le 22 juillet 1830 dans le même village. Après la célébration de l’union par le maire de Beaufort François Béritault, le jeune couple semble s’installer à Beaufort pour quelques années. Le premier fruit de cette union ne tarde pas trop à venir, puisque le 17 novembre 1838, Marie Louise donne naissance à Louis François. En 1841, François présente à l’état civil de Saint-Lambert une petite Alexandrine qui épouse le cocher des Deux-Sèvres André Auguste Gallas en 1864. En 1849, c’est au tour d’Alexandre François de naître, mais il décède jeune chez son père à l’âge de 17 ans. Enfin, quatre plus tard, le 27 janvier 1853, Marie Louise donne naissance à mon aïeule, Marie Louise Ruesche.

Comme bien souvent avec nos ancêtres des siècles précédents, je ne sais rien de la vie privée du couple Ruesche-Georges. Mais quelque chose se passe au foyer dans les mois qui suivent la naissance de leur dernier enfant. Dans l’édition de L’écho saumurois du 6 décembre 1853, entre les chroniques de la guerre de Crimée et le décès d’un fils supposé de Louis XVI, le duc de Richemont, mon ancêtre François Ruesche fait publier un article annonçant la disparition inquiétante de son épouse Marie Louise, qui n’a pas donné de nouvelles depuis le vendredi 2 décembre. Tragique évènement qui nous donne cependant de nombreux renseignements sur Marie Louise, renseignements qui demandent tout de même prudence dans leur interprétation.

Une femme d’une trentaine d’années, frappée, depuis quelque temps, d’aliénation mentale, vêtue d’un jupon de droguet gris, d’une paire de sabots noirs et neufs, portant des bas de laine bleue, a disparu de son domicile, vendredi soir. Les personnes qui sauraient où cette femme s’est retirée, sont priées d’en informer le sieur François Ruesche, tisserand à Saint-Lambert-des-Levées, près Saumur.

L’écho saumurois – Édition du 6 décembre 1853 – Archives de la ville de Saumur [En Ligne]

« Aliénation mentale », voilà un terme très vague qui interroge. Que peut être cette aliénation mentale mentionnée par le journaliste qui rédige cet article ? Est-ce un terme auquel il songe lui-même à la suite de la description donnée par François ? Est-ce la description donnée par ce dernier ? S’agissant alors d’un simple avis de recherche, il n’y a certainement pas d’implication de la police à ce moment.

À une époque où la psychiatrie est tout juste balbutiante, ce terme peut signifier plusieurs réalités pour lesquelles il faut également considérer la dimension du genre et de la catégorie sociale. Le XIXe siècle est une période particulièrement difficile pour les femmes, « les prolétaires des prolétaires » comme l’écrivait Jules Michelet. D’un point de vue médical, les femmes sont bien moins loties que les hommes. Rappelons que l’hystérie est alors considérée comme un trouble uniquement féminin (cf. dictionnaire de l’Académie Française, 1835 et 1878). Dans le cas de Marie Louise, le terme d’aliénation mentale peut signifier des conditions très variées. Cela pourrait être une dépression. L’accident survenant 11 mois après la naissance de sa fille, cette « aliénation » pourrait également être une dépression post-partum ou plus grave encore, une psychose post-natale. Ces conditions pouvant ou non être accompagnées de tendances suicidaires. Il est possible que les problèmes de Marie Louise n’aient aucun rapport avec sa dernière grossesse, voire que sa disparition ne soit pas liée avec de potentiels troubles mentaux et que ce soit là une coïncidence.

Il est aussi possible que cette disparition soit un accident, et que l’état mental de mon ancêtre soit une coïncidence. L’hiver 1853-54 est particulièrement rude, glacial et sec, qui rend propices les accidents en tout genre.

Comment François Ruesche vit-il l’absence de sa femme ? Impossible de le savoir. Il à trois enfants à charge. Il est fort possible que l’aînée, Alexandrine, âgée de 12 ans en 1853, prenne un peu la place de sa mère. La composition du foyer et de ceux des voisins pourraient nous renseigner sur d’éventuels réseaux familiaux, mais les recensements du Maine-et-Loire antérieurs à celui de 1936 ne sont pas disponibles aux Archives départementales et nous n’avons pas pu consulter celui conservé par la commune pour l’année 1856. C’est cette année, soit trois ans après la disparition de Marie Louise, que survient la conclusion de cette triste histoire.

Le 15 janvier 1856, à Saint-Hilaire-Saint-Florent, à 2 kilomètres de Saint-Lambert, sur l’autre rive de la Loire, le marinier François Verneau, âgé de 59 ans, trouve un corps dans un état de décomposition très avancé. Il avise Pierre Fougeray, le garde-champêtre de Saint-Hilaire, et les autorités sont ensuite prévenues. Le maire de la commune, monsieur de la Frégeolière, le docteur Bolard (ou Bosart), ainsi que le commissaire de police de Saumur arrivent sur les lieux de cette macabre découverte. Le docteur constate le décès. C’est une noyade remontant à plusieurs années. Sur le registre d’état civil rédigé le lendemain 16 janvier, le maire de Saint-Hilaire déclare que le corps, bien que méconnaissable, est réclamé par François Ruesche, tisserand de 41 ans domicilié à Saint-Lambert.

Acte de décès du 16 janvier 1856, Saint-Hilaire-Saint-Florent, A.D. 49 [En ligne]
La Loire, certainement l’endroit vers l’endroit où le corps de Marie Louise est retrouvé [Google Earth]

La présence du commissaire de police de Saumur laisse supposer que cette triste affaire a pu donner lieu à la rédaction de documents. S’ils existent, ceux-ci seront aux Archives municipales de Saumur, dans la sous-série Rapports et correspondance du commissariat de police. Mon enquête se poursuit et cet article sera modifié si de nouvelles informations me parviennent.

François Ruesche s’est remarié, avec Louise Dorval, un an après la découverte du corps de Marie Louise. Il est décédé chez lui à Saint-Lambert en 1874. En 1880, Marie Louise Ruesche, dernier enfant du couple Ruesche-Georges, épouse Bernard Broué à Saumur. Originaire de l’Ariège, il est tailleur d’habits pour l’école de cavalerie, et Marie Louise est coutière, c’et à dire qu’elle fabrique des toiles (les coutils) faites de fils de lin ou de chanvre. La mémoire familiale ne garde pas une image flatteuse du sieur Broué. D’après ma grande tante, une de ses petites-filles, Bernard était « une vieille carne » qui n’hésitait pas à mettre des coups de canne aux enfants qui passaient vers lui et le dérangeaient dans son vieil âge. Il était également coupable d’avoir fait de sa cadette une paria pour être tombée enceinte sans être mariée, l’expulsant du domicile, ce qui provoqua une grande tristesse chez ses autres enfants qui n’ont jamais pu avoir de nouvelles de leur sœur. Mais c’est là une autre histoire, pour un autre jour.

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