28 mars
A 2 heures du matin les allemands bombardent violemment nos batteries par obus de gros calibres et obus à gaz. Ce tir très nourri qui dure près de 2 heures s’étend en arrière de nos lignes, quartier de l’Oasis, Borne 16 et Trumel.
A 4h40 le tir de l’artillerie ennemie redouble de violence, tout fait prévoir que ce tir qui est d’une intensité exceptionnelle est un tir de préparation en vue d’une attaque, au moins 150 pièces d’artillerie concentrent leur feux sur le secteur du régiment.
Pendant ce temps, nos premières lignes sont à un violent bombardement d’engins de tranchées de gros calibres (minens de 240*).
A 5h45 – L’artillerie ennemie allonge son tir et les vagues d’assaut allemandes se lancent à l’attaque de nos positions. Notre tir de barrage qui a été demandé par fusées dès l’allongement du tir ennemi ne se déclenche que 10 minutes après l’attaque. La cause de ce retard provient uniquement du mauvais temps qui empêche aux agents de liaison d’apercevoir les fusées lancées par notre 1ère ligne.
Les bourrasques de neige qui tombaient à ce moment étaient tellement denses que les fusées s’éteignaient au fur et à mesure que l’on les envoyaient. Prévenue téléphoniquement par le poste de commandement du Colonel, l’artillerie déclencha son barrage assez nourri au début, ce tir ne tarda pas à diminuer d’intensité.
Depuis quelques jours en effet, nous sentons nettement que l’artillerie ennemie, avait acquis sur la nôtre une supériorité incontrôlable. Le bombardement ennemi nous avait causé des pertes sensibles, beaucoup de munitions avaient été enterrées ou avaient sautées sous le choc des projectiles ennemies ; des armes : mitrailleuses, fusils mitrailleurs, Vivien-Bessière** étaient hors de service. – Un fusil sur deux fonctionnait par suite de la boue qui emplissait ce qui restait des boyaux et tranchées. Il n’y avait aucune communication latérale entre les diverses fractions par suite des pilonnages successifs de la ligne et des tirs systématiques exécutés les jours précédents sur nos travaux de réfection.
Le temps très mauvais avait triplé la fatigue du personnel qui était incomplètement ravitaillé.
Beaucoup de vivres furent perdus ou enterrés dans les boyaux par les hommes qui tombaient dans la boue et que l’on avait grand’peine à retirer, d’autres enfin étant frappés mortellement par le bombardement ou les tirs de mitrailleuses. Depuis 9 jours le 2e bataillon était en ligne dans des abris très précaires et ou les hommes reposaient assis, et c’est sur lui que l’attaque principale se produisit. Quatre vague d’assaut ennemies se lancèrent sur notre première ligne dans la partie comprise entre le boyau C-10 et l’ouvrage Guerlais. La compagnie de gauche du 3e bataillon (9e compagnie) qui tenait le réduit de Maisons de Champagne résista d’abord énergiquement à l’adversaire, mais devant les attaques réitérées des allemands, elle du reculer d’une cinquantaine de mètres en arrière du boyau Dartignac ou elle établit un crochet défensif face à l’Ouest alors que des combats isolés mais très violents se livraient sur notre 1ère ligne. L’ennemi entretenait un triple barrage en arrière sur la ligne des ouvrages et nos principales voies de communication sur le point de la 10e compagnie qui tient la côte 185, l’ennemi est parvenu à s’infiltrer dans les boyaux du Pentagone et a réussi à refouler cette peu à peu cette compagnie qui essaye de contenir les vagues d’assaut ennemies ; quelques groupes d’Allemands ont également pénétré dans une partie de notre première ligne (tranchée Crévic) et à l’Ouest de la tranchée de Posen. Une lutte à la grenade s’engage, les fusils mitrailleurs et les mitrailleuses de la section de l’Adjudant Boivert tirent sans arrêt infligeant des pertes sanglantes à l’ennemi, mais ce dernier a dépassé Posen et s’est engagé dans l’ouvrage de l’Observatoire, cherchant à envelopper la gauche de cette compagnie. Ne voulant pas tomber vivant aux mains de l’ennemi, le Commandant de la 10e compagnie (lieutenant Michel) donne l’ordre à la section de mitrailleuses du sergent Billey de se replier dans la direction de l’Est, mais les mitrailleuses sont brulantes et le personnel encore valide est insuffisant.
Le lieutenant Michel donne l’ordre de briser l’une des mitrailleuses qui ne peut être emportée, l’autre pièce est retirée.
Environné d’Allemands le lieutenant Michel bat en retraire, mais à peine a-t-il fait demi-tour qu’il est blessé d’une balle qui lui traverse le mollet.
La section Baudry qui tenait le barrage C-9, litte pendant 20 minutes à la grenade, puis débordée bat en retraite sur Crévic, et sur Posen à gauche de la section de sous-lieutenant Ducroc.
La section du sous-lieutenant Lonjarret qui s’est opposé au mouvement des Allemands vers l’Ouest tient tête à l’ennemi pendant 40 minutes à l’intersection de Crévic et du boyau C-9, puis finalement est obligée de se replier sur Posen. – La section du sous-lieutenant Ducroc essaie de limiter l’avance ennemie en contre-attaquant ; son effet se fait sentir jusqu’au moment où son chef (sous-lieutenant Ducroc) est tué d’une balle à la tête. – Les sections des sous-lieutenant Lonjarret et Ducroc subissent des pertes importantes, cependant l’ennemi continue à s’infiltrer dans notre 1ère ligne par Crévic essayant de déborder nos troupes par l’Ouest.
La section du sous-lieutenant Laurent qui tenait le barrage C-10 est obligée de se replier pour éviter d’être encerclée. Les débris des sections Baudry, Lonjarret et Ducroc battent successivement en retraire par échelons sur C-10, puis s’installent entre C-10 et C-9, face au Nord pour la limiter la progression allemande. Le sous-lieutenant Lonjarret a la jambe gauche brisée par éclat d’obus. – L’aspirant Eycken de la 9e compagnie contre-attaque avec sa section sur le flanc gauche de l’ennemi dans la tranchée de Posen, le sergent Charles tue un officier allemand. – L’ennemi à partir de ce moment ne peut plus progresser il est contenu par les débris des sections citées plus haut et par les feux de la section de mitrailleuses de l’adjudant Boivert qui n’ont par miracle subit aucune détérioration par le bombardement ennemi. – Pendant ce temps les 6e et 7e compagnies qui tenaient la partie comprise entre le Pentagone inclus, l’ouvrage Gallois et le boyau C-7 inclus résistaient énergiquement aux vagues d’assaut ennemies. – Le combat dura plus d’une heure sans que l’ennemi puisse obtenir de résultat sérieux quand soudain surgit dans notre flanc gauche une fraction ennemie qui avait pu pénétrer jusqu’au boyau C-7 à hauteur de nos fractions de réserve. Des combats acharnés et singuliers eurent lieu au cours desquels 3 officiers furent tués et tous les chefs de section et demi-section mis hors de combat. 3 fois de suite l’ennemi parvient jusqu’au boyau C-7 aux abords de notre parallèle de départ ; 3 fois de suite il fut refoulé jusqu’à Posen. Certaines fractions environnées de toutes parts luttèrent jusqu’à la dernière grenade. – Le nombre de munitions dont une grande quantité avait été détruite par le bombardement nous empêche de faire prisonnier un groupe important d’assaillants qui s’étaient avancés en avant de deux ilots qui résistaient encore. – Une fois ramené sur Posen l’ennemi y fut énergiquement maintenu, il dut même l’abandonner, et reporter son barrage en arrière au moment où notre artillerie de compagne par un tri bien réglé lui occasionna des pertes très dures. – A signaler au cours de cette attaque la belle conduite du Capitaine Brunet commandant la 2e compagnie de mitrailleuses, ayant eu la majeure partie de ses pièces détruites par le bombardement et ayant épuisé toutes ses munitions a mis immédiatement hors de service la seule pièce qui lui restait, a réuni ensuite quelques hommes autour de lui et a engagé avec l’adversaire un violent combat à la grenade au cours duquel il fut d’abord blessé puis tué en encourageant ses hommes à résister jusqu’à la mort.
Les lieutenants Revailler, Marin, Levêque, bien qu’environnés de toutes parts n’ont cessé de donner le plus bel exemple de bravoure et de sang-froid en combattant au milieu de leurs hommes jusqu’au moment où ils ont été frappés à mort dans l’îlot de résistance qu’ils avaient organisés.
Le lieutenant Martin a contribué par son calme et son énergie à maintenir chacun à sa place sous de violents tirs de barrage, sous l’avalanche d’assaut qui déferlait sur lui, il déploya son monde à travers champs, jetant pour ainsi dire ses hommes à leur poste de combat, en les commandant debout au milieu d’une grêle de balles.
Avec des hommes exténués par 9 jours de ligne et 3 jours de combat, il demeura ferme à son poste jusqu’au 31 mars dans la nuit, date où il fut définitivement relevé.
Informé de la situation par les différents comptes rendus qui leurs étaient envoyés, les Généraux commandant l’infanterie divisionnaire 15 et la division décident que le 1er Bataillon (bataillon Monnet) qui a été relevé dans la nuit précédente allait contre attaquer immédiatement (ci-joint les différents ordres relatifs à la contre attaque).
Le 28 mars à 5H le bataillon Monnet qui était au repos à Borne 16 a été alerté. Il est informé que l’ennemi a prononcé une attaque sur la côte 185, qu’il s’est emparé de cette côte, de l’ouvrage Guerlais, de l’ouvrage de l’Observatoire et la tranchée de Posen entre C-10 et l’ouvrage Guerlais -.
A 9 heures le commandant Monnet reçoit l’ordre verbal du général commandant l’infanterie divisionnaire de porter son Bataillon dans le tunnel à la disposition du Lieutenant-Colonel Poujal commandant le quartier de l’Oasis pour contre-attaquer sur la Côte 189. Départ du Bataillon 9h7, – ordre de marche 1er, 2e et 3e compagnie ; la 1ère compagnie de mitrailleuses qui était restée dans la ligne des ouvrages a reçu directement des ordres du Lieutenant-Colonel commandant le quartier. A 9H45, la 1ère compagnie est parvenue dans le boyau de Champagne, vers le poste de commandement Fer de Lance, les deux autres compagnies sont prêtes à déboucher du tunnel.
L’ordre est donné au commandant Monnet de porter les 3 compagnies à pied d’œuvre vers la ligne Poquereau-Chevalier-Crozet et d’abriter ses hommes en attendant l’ordre d’attaque sur 185.
La 1ère compagnie est portée à l’ouvrage Poquereau.
La 2e compagnie est portée dans le boyau de Champagne.
La 3e compagnie s’installe dans la tranchée Crozet.
Le mouvement est très lent et très difficile en raison d’un violent tir de barrage allemand et du mauvais état des communications.
Les hommes n’ont aucun abri et séjournent sous le tir de l’ennemi dans des boyaux aux trois-quarts comblés.
A 13H35 le commandant Monnet est averti que la contre-attaque par vague d’assaut n’aura pas lieu et qu’il sera procédé en avançant par les boyaux selon un ordre qu’il va recevoir à bref délai.
A 14H15 – Arrivée de l’ordre de contre-attaquer à la grenade.A 15H – Arrivée de l’ordre de contre-attaquer à la grenade.
A 15H – Le commandant Monnet envoie à ses compagnies l’ordre d’attaquer à la grenade. LA 3e compagnie doit progresser dans Posen Est et C-10 en liason avec la 1ère compagnie qui doit opérer par C-9-C-8-C-7 (droite du 358e régiment d’infanterie). Une section de la 2e compagnie doit appuyer dans C-10 la progression de la 3e compagnie.
A 15H50 un contrordre venant de l’infanterie divisionnaire 15 est immédiatement envoyé au commandant Monnet lui présentant que les attaques par vagues prévues dans l’ordre donné le matin devaient reprendre immédiatement. Cet ordre envoyé à 15H40 ne parvient qu’à 17H32 au commandant du bataillon, l’heure de l’attaque est fixée à 19H30, le commandant Monnet a pu réunir ses commandants de compagnie et leur donner ses ordres pour cette nouvelle attaque.
A 19H30 un contre-ordre est envoyé de la Division prescrivant de reprendre automatiquement l’ordre d’attaque à la grenade donné précédemment.
Pendant la nuit le bataillon réussit à repousser l’ennemi sur quelques points où celui-ci avait réussi à prendre pied.
La section de M. le sous-lieutenant Diss avance brillamment jusqu’à 60 mètres de la tranchée Posen, dans C-10.
Dans C-8 et C-9, la 1ère compagnie s’avance jusqu’à 100 mètres environ de Posen. Entre C-9 et C-10 la section du sous-lieutenant Diss se glisse de trous d’obus en trous d’obus jusqu’à 50 mètres de Posen.
Suit la liste nominative des 445 pertes de la journée du 28 mars. Le soldat Camusat (orthographié Camuzat) est à la vue 37.
* Il s’agit certainement du mortier de tranchée Schwerer Minenwerfer de 240mm.
** Nom d’un fusil lance-grenades utilisé par l’armée française.